MARINE ANCIENNE
Les GALÈRES
Si, du XVIe au XVIIIe siècle, le terme de galère a désigné un type très précis de navire de guerre à rames, il a pris aujourd'hui un sens beaucoup plus général, puisqu'on désigne sous ce nom l'ensemble des navires à rames de combat de l'Antiquité, du Moyen Age et de la période classique jusqu'au début du XIXe siècle, qui vit leur disparition.
La galère est d'abord devenue synonyme de « vaisseau long », vieille expression qui désignait un bâtiment léger et effilé de manière à disposer, sur chaque bord, du plus grand nombre de rames possible, par opposition au navire à voiles, ou « vaisseau rond », obligatoirement large et profond afin que l'effort du vent sur les voiles ne le couchât pas sur l'eau. Puis cette opposition est devenue de moins en moins nette avec l'apparition de voiliers de plus en plus fins ; elle a disparu complètement avec le vapeur, de même que l'expression, qui était restée vivante de l'Antiquité à 1800.
Le mot galère lui-même date du XVIe siècle. Il a remplacé alors celui de galée (galea en italien), qui, pour certains, viendrait du mot grec signifiant espadon ; mais il est presque sûr qu'il reproduit le mot byzantin galaia (type de navire), lui-même emprunté au Xe siècle à l'arabe xalija.
- Les origines de la galère.
- La trière.
- Les grandes galères hellénistiques.
- Les galères carthaginoises et romaines.
- Les galères du Moyen Age.
- Les galères de la Méditerranée occidentale.
- Les galères à « sensile ».
- Les galères au combat.
- Le déclin de la galère.
- Les galères de la Baltique.
- Le langage de la marine des galères.
Les origines de la galère
Bien que très vagues, les origines de la galère doivent remonter à l'époque où la rame remplaça la pagaie. Nous savons, par des vases décorés, qu'à l'époque minoenne les Crétois avaient de petits bâtiments à rames non pontés avec lesquels, d'après les historiens grecs, ils dominaient la mer.
Nous trouvons ensuite dans l'Iliade et l'Odyssée des renseignements qui concernent les années 1200 avant J.-C. environ. Homère y mentionne des navires qui portaient cinquante-deux ou cent vingt hommes :
- Le premier type de navire est l'ancêtre de la pentécontore classique armant vingt-cinq avirons sur chaque bord.
- Pour le second type, diverses explications ont été proposées : soit deux hommes par banc maniant un seul aviron ; soit, plus probablement, une double rangée d'avirons maniés chacun par un seul homme.
Ces bateaux étaient construits à partir d'une forte quille sur laquelle étaient montées des membrures, et le tout était recouvert d'un bordé de planches. La liaison de ces éléments était faite par des chevilles de bois. L'arrière et l'avant portaient un petit gaillard ponté qui permettait au pilote, au capitaine et au veilleur de dominer les rameurs.
Dès que la taille augmenta, la rame-gouvernail fut dédoublée (une sur chaque bord) et son manche fixé en deux points, de sorte qu'il était possible de le tourner au moyen d'une poignée. Pour protéger la coque contre les vers, on trouva bientôt des enduits à base de poix, qui donnèrent les « navires noirs », ou à base de minium, pour les « navires rouges ».
Dans la haute époque grecque, il n'était jamais question de combat naval, les navires servant uniquement à transporter les combattants, qui se rencontraient à terre ; alors qu'un bas-relief égyptien, provenant du temple de Médinet Habou et qu'on croit pouvoir dater de 1194 avant J.-C., décrit une bataille navale qui opposa les Egyptiens aux Peuples de la mer, ancêtres des Phéniciens. Cependant aucun des navires représentés ne semble avoir d'éperon.
C'est vers le VIIIe siècle avant J.-C. qu'apparaissent les premières galères grecques de combat. Ce sont des birèmes, à deux rangées de rameurs, maniant chacun une rame, dont le scalme (point d'appui sur la coque) est décalé en hauteur, d'une rangée à l'autre, de 40 à 50 centimètres. La quille, renforcée, porte à l'avant un éperon en bronze, qui sera désormais l'arme essentielle.
Alors que jusque-là le combat se livrait entre les guerriers munis de frondes, d'arcs, de javelots, de piques et d'épées, il devint possible de couler l'ennemi d'un seul choc dans son fragile bordé, à condition d'avoir un chef habile et un équipage très bien entraîné. La réplique fut d'embarquer davantage de guerriers, qui s'efforçaient, à l'aide d'armes de jet, de décimer les rameurs, ce qui entraîna l'élévation des pavois afin de protéger ces derniers. Le bateau s'en trouvant considérablement alourdi, il fallut augmenter sa puissance, ce qui revint à augmenter le nombre de ses rameurs.
La trière
Sur l'antique trirème, ou trière, considérée en son temps comme le plus efficace et le mieux construit des navires, nous ne possédons que des renseignements pauvres et controversés. Il n'est pas établi qu'elle dérive de la rapide et manœuvrante birème dont aurait été accrue la puissance de choc pour l'éperonnement, la plus redoutable technique de destruction navale jusqu'à l'apparition du canon.
L'invention de l'éperon date approximativement de 550 av. J.-C. et nous retrouverons ce type de « navire long » associé à plusieurs civilisations maritimes, l'athénienne, la phénicienne, la corinthienne, l'égyptienne et la romaine.
La trière grecque, devait mesurer environ 40 mètres de long, cinq et demi de large. 170 bons rameurs, divisés en trois catégories hiérarchisées, la montaient : 62 thranites aux bancs de nage supérieurs, 44 zygites aux bancs intermédiaires, 44 thalamites aux bancs inférieurs.
Comme la birème ou le navire mycénien, la trière ne possédait qu'un seul mât et une seule voile, carrée ou rectangulaire. On trouvait donc à bord, en sus des rameurs recrutés dans les classes les plus pauvres, des gabiers pour manœuvrer la toile et des soldats pour mener le combat.
Les rames étaient relativement courtes pour la longueur du navire : 4,25 m à l'étage supérieur, 3,15 m au niveau intermédiaire, 2,25 m à l'inférieur. Certains érudits prétendent qu'elles n'étaient pas de même longueur pour un même étage, mais disposées en dégradé, tels les doigts d'une main.
- Le diekoplous, percée brutale à travers la ligne des navires ennemis, destinée à briser leurs rames, suivie d'un retournement et d'une prise à revers.
- Le periplous, enveloppement rapide préludant à une attaque directe par le flanc.
De la trière ont procédé, non sans quelque fantaisie, des bâtiments de combat qui ont éveillé peu à peu l'intérêt des historiens de la mer. Mais leurs conclusions sont restées, faute d'une documentation suffisante, transitoires et précaires. Nous savons par exemple que Denys, tyran de Syracuse, fit construire des quadrirèmes et que, au cours des conflits qui suivirent la mort d'Alexandre le Grand (323 av. J.-C.), on vit apparaître des quinquérèmes et même des hexarèmes et des heptarèmes. De telles dénominations ne peuvent évidemment s'appliquer au nombre des rangs de rames superposés, mais bien à celui des rameurs par rame. Les textes où nous les trouvons semblent bien mentionner des bâtiments de combat à deux ou, au plus, trois rangs de rames, mais où la puissance de propulsion se trouve considérablement accrue par un renfort de rameurs à chaque banc.
Il est certain que les Carthaginois utilisèrent la quinquérème au cours de la première guerre punique (264-241). Quant aux Romains, lancés dans ce conflit sans disposer d'une flotte digne de ce nom, ils donnèrent de leurs talents d'organisateurs une remarquable démonstration. En 60 jours, ils purent armer 100 quinquérèmes et 20 trirèmes, qui devaient arracher la décision à la bataille de Myles en 260 av. J.-C.
Victoire due, pour une large part, à l'adoption du corbeau, cette passerelle d'abordage relevée en position d'attente, orientable, et munie à son extrémité d'un puissant bec de fer. Abattu de tout son poids sur le pont adverse où il s'enfonçait profondément, le corbeau ouvrait aux soldats l'accès au navire ennemi ainsi immobilisé.
L'organisation militaire romaine s'étendit à la marine de guerre. Les bases de la flotte dont les trirèmes constituaient l'épine dorsale s'échelonnèrent sur tout le pourtour méditerranéen, le long du Rhin et du Danube, sur les côtes de la Manche, comme sur celles de la mer Rouge. Lorsque la décadence de l'empire romain entraîna celle de sa marine, les trirèmes survivantes, repliées en Orient, formèrent le premier noyau de la flotte de Byzance.
Les trières présentent quelques variantes suivant les cités :- Les trières athéniennes n'avaient qu'un léger pont volant au-dessus des rameurs.
- Les trières phéniciennes (au service des Perses) étaient complètement pontées pour transporter davantage de soldats.
Les grandes galères hellénistiques
A partir du IVe siècle avant J.-C. apparurent des galères de plus en plus puissantes. Ce furent d'abord les tétrères (ou quadrirèmes) de Denys de Syracuse (398 av. J.-C.). D'aucuns pensent que, pour simplifier l'entraînement des rameurs, celui-ci avait établi un aviron unique manié par quatre hommes (puis cinq sur les quinquérèmes) ; cela semble très improbable et nous n'en avons aucune preuve. C'est à l'occasion des luttes entre les dynasties issues des généraux d'Alexandre (Antigonides de Macédoine, Séleucides de Syrie, Ptolémées d'Egypte) que les galères connurent de profondes modifications.Démétrios Poliorcète en fut l'animateur et fit construire des heptères (à sept rangs de rameurs) ; son fils, Antigonos Gonatas, eut même des galères à neuf rangs (certains disent dix-huit).
Les Ptolémées, toujours épris de gigantisme, en construisirent à vingt et trente rangs, et Ptolémée V fit même réaliser une galère à quarante rangs qui nécessitait quatre mille rameurs. Comme on progresse toujours de dizaine en dizaine, on a supposé qu'il y avait dix hommes par aviron et deux, trois ou quatre rangs d'avirons. Quoi qu'il en soit, il s'agissait là de palais flottants incapables de naviguer vraiment.
Les galères carthaginoises et romaines
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l'extraordinaire développement des navires hellénistiques n'eut presque pas d'influence sur la Méditerranée occidentale.Durant la première guerre punique (264-241 av. J.-C.), la flotte Carthaginoise était équipée de quinquérèmes, que les Romains copièrent. Il s'agissait certainement de bateaux assez petits, puisque Rome, en 261 avant J.-C., réussit à en construire cent en deux mois, mais également très marins, comme le prouvent leurs exploits dans la Méditerranée et même dans l'Atlantique (le périple d'Hannon sur la côte d'Afrique, en particulier).
C'est avec ces bateaux que Caius Duilius, en 260 avant J.-C., remporta à Myles (aujourd'hui Milazzo, en Sicile) une victoire complète sur les Carthaginois en utilisant le « corbeau », sorte de pont volant qu'on pouvait laisser tomber sur le bord de l'ennemi pour l'attaquer à l'abordage et se battre au corps à corps, discipline dans laquelle les soldats romains étaient très supérieurs.
Les discussions sur l'arrangement des rames et des rameurs sur ces quinquérèmes n'ont pas abouti avec certitude, et l'on peut raisonnablement opter pour un système mixte, réduction de celui des grandes polyrèmes hellénistiques, à savoir deux rangées de rames, maniées par trois hommes dans le rang supérieur et par deux dans le rang inférieur.
A Actium (31 av. J.-C.), la flotte romaine de César n'avait guère évolué ; ses plus fortes unités avaient six rangs de rameurs. Cependant elle avait acquis un nouveau type de bateau, plus léger, la liburne, dérivée des navires utilisés par les pirates des côtes dalmates. Les quelques représentations que nous en connaissons nous les montrent avec deux rangs de rames très faiblement décalés. En fait, ce sont ces liburnes qui formèrent, pendant toute la durée de l'empire d'Occident, les petites escadres chargées de poursuivre les pirates (il n'y avait plus d'autre puissance maritime) non seulement autour de la Méditerranée, mais aussi en Manche, en mer du Nord, sur le Rhin et sur le Danube.
Les galères du Moyen Age
L'Empire byzantin, tourmenté par l'ambition de reconquérir l'Occident, avait besoin d'une marine composée pour la grande partie de dromons. Il s'agissait, au VIe siècle, de bâtiments légers, analogues aux liburnes. Mais, dès le VIIe siècle, ce type de navire allait prendre de l'importance et s'agrandir, car, pour la première fois depuis l'ère chrétienne, une nouvelle puissance maritime faisait son apparition.En effet, les Arabes, après avoir conquis la Syrie et l'Egypte, continuèrent dans les anciens arsenaux impériaux, et en particulier à Alexandrie, la construction des galères de ce type. En 653, la flotte arabe, après s'être emparée de Chypre, infligeait une sévère défaite à la flotte byzantine sur les côtes de Lycie.
Puis ce fut, vers 678, l'invention du feu grégeois, qui permit de sauver Constantinople ; précurseur du moderne lance-flammes, c'était un mélange dont nous ignorons (secret d'Etat) la composition exacte, mais qui contenait du pétrole brut, de la poix, du soufre, peut-être aussi du salpêtre.
Le dromon s'agrandit encore. Quand l'empereur Léon le décrit (au IXe siecle), c'est un fort bâtiment à deux rangs de rames largement séparées. Il semble que celles du rang supérieur soient maniées par trois hommes contre un seul pour le rang inférieur. Sur le gaillard d'avant, au-dessus des rameurs, est aménagé le dispositif de projection du feu grégeois, qui se termine par un tube de bronze dépassant l'étrave.
A la même époque, il existait d'autres types de dromons plus légers : le pamphyle, l'ousiakos et la galaia, première apparition de ce terme qui désignera bientôt la totalité des bâtiments à rames de combat.
Les galères de la Méditerranée occidentale
Les hostilités devaient continuer des siècles durant contre les Arabes puis contre les Turcs. Mais les révolutions et les luttes intestines affaiblissaient sans cesse Byzance, et sa marine périclitait. Par ailleurs, les cités maritimes d'Italie, de Provence et de Catalogne, dont le commerce était en plein développement, durent constituer des escadres de guerre pour se protéger contre leurs rivales et contre les corsaires barbaresques. Au début, les unités de ces escadres furent copiées sur le plus petit modèle byzantin, d'où leur nom de « galées ».Elles grandirent peu à peu, à mesure qu'augmentaient la richesse et la population des cités-Etats. Mais, dès le Xe siècle, la voile carrée était remplacée par la voile alla trina (c'est-à-dire triangulaire), altérée par la suite en « voile latine » (alors qu'elle est d'origine arabe).
La plupart de ces galères étaient des birèmes, sur lesquelles le décalage de hauteur entre les deux rangées était très faible. Mais les luttes pour l'hégémonie maritime devenant de plus en plus âpres entre Gênes et Pise, puis entre Gênes et l'Aragon et enfin entre Gênes et Venise, on en arriva à la trirème, non sans difficultés.
Les galères « a sensile »
C'est à Gênes, tout à fait à la fin du XIIIe siècle, que Benedetto Zaccaria aurait eu l'idée, pour simplifier la vogue (c'est-à-dire la manière de ramer), de reporter le point d'appui des rames du bordé à une poutrelle parallèle, l'apostis, solidement maintenue à environ 1,40 m à l'extérieur par des bacalats. Cela permettait d'asseoir sur un même banc, légèrement incliné par rapport à l'axe, trois hommes maniant chacun sa rame ; seule la longueur du manche entre l'apostis et le rameur variait, mais on rétablissait l'équilibre en alourdissant les manches plus courts avec du plomb. Cette invention marqua une rupture complète avec les systèmes de vogue de l'Antiquité, où le report des scalmes vers l'extérieur n'a jamais existé que pour une seule rangée de rames.Ces galères, dites à sensile (simples), étaient faciles à manœuvrer, à condition d'avoir des rameurs bien entraînés. Elles firent leurs preuves très rapidement : à la tête de soixante-dix-huit unités construites à la hâte, le capitaine général génois Lamba Doria écrasait, le 7 septembre 1298, à Curzola, dans l'Adriatique, la flotte vénitienne (composée de quatre-vingt-dix-huit galères de l'ancien type) commandée par Andrea Dandolo.
Désormais, toutes les galères de Méditerranée (y compris les turques) furent de ce modèle, et, pendant les deux siècles suivants, il n'y eut que des modifications de détail : remplacement des avirons de gouverne latéraux par le timon à la bayonnaise, tenu par des ferrures au milieu de l'étambot et manœuvré par une barre encastrée sur sa tête et répondant plus rapidement ; amélioration de la voilure par l'adjonction, sur l'avant, d'un second mât, l'arbre de trinquet (le vocabulaire utilisé à propos des galères est très différent de celui des vaisseaux), qui permettait, en jouant sur les écoutes des deux voiles, d'améliorer la tenue de route tout en augmentant la vitesse.
Les Turcs et les Vénitiens n'adoptèrent ce système que beaucoup plus tard ; ils tenaient en effet à pouvoir « désarborer » (c'est-à-dire amener le mât et le ranger dans l'étui que forme l'intérieur de la coursie) très rapidement quand il leur fallait ne pas être repérés.
Les galères au combat
Depuis l'Antiquité, le combat a totalement changé. Le nouveau système de construction, dans lequel la quille est beaucoup plus légère, ne permet plus la fixation d'un éperon de bronze, et ce dernier a été remplacé par un éperon de bois qui prolonge le pont avant et sert de passerelle pour permettre aux hommes d'armes de monter à bord des bâtiments ennemis lors de l'abordage.C'est pourquoi, derrière cet éperon, juste devant la chambre de vogue, s'élevait un retranchement en planches, la rambade, où se tenaient une partie des soldats ; les autres, armés d'arbalètes, étaient installés sur des petites planches, les arbalestières, fixées à l'extérieur de la coque entre chaque groupe d'avirons. La rambade était parfois équipée d'un trébuchet pour lancer des pierres.
Vers 1450, on embarque de l'artillerie : d'abord une pièce centrale, le coursier, encadrée plus tard par quatre autres plus petites, bâtardes ou couleuvrines. Seul, le coursier a un calibre important, car, monté sur un affût glissant sur la coursie (d'où son nom), il peut reculer jusqu'à l'arbre de mestre (le mât principal). Les autres pièces, situées juste derrière le dernier rang de rameurs, n'avaient qu'une possibilité infime de recul ; elles ne pouvaient tirer qu'à charge réduite et servaient essentiellement contre le personnel.
Au début du XVIe siècle, on chercha de nouveau à accroître la taille et la puissance de certaines galères, surtout pour des raisons de prestige ; vers 1540, toutes les réales et toutes les capitanes étaient des quadrirèmes à quatre hommes et quatre rames par banc. Il exista même deux quinquérèmes (cinq hommes et cinq rames par banc) : la première, à Venise, fut l'œuvre, en 1529, du célèbre constructeur Vettor Fausto ; la seconde fut construite à Marseille pour servir de réale au général des galères Anne de Montmorency. Cette galère, baptisée Saint-Jean à son lancement en 1540, fut toujours appelée la Connétable, par référence à la charge principale de son propriétaire. Ces deux tentatives ne furent pas couronnées de succès ; en effet la manœuvre de cinq avirons à quelque 20 ou 30 cm l'un de l'autre exigeait des rameurs remarquablement exercés. Aussi connurent-elles toutes deux le même sort : après avoir brillamment paradé pendant un an ou deux, chacune fut désarmée et alla pourrir au fond du port.
Le recrutement des rameurs était devenu très difficile. Jusque-là, les citoyens les plus pauvres des cités maritimes ou de leurs territoires trouvaient de quoi subsister en s'engageant. Mais dès la fin du XVe siècle l'amélioration du niveau de vie les en écarta. Si bien que, dans tous les pays méditerranéens, on en vint à recruter d'office les condamnés (forçats) et les esclaves turcs ou barbaresques pris au combat ou razziés dans les îles de l'archipel grec.
Bien entendu, ces forçats ne manifestaient aucune bonne volonté au maniement de la rame et il fallut instituer des argousins pour les enchaîner à leur banc et augmenter les pouvoirs des comites pour les contraindre à ramer, au besoin à coups de fouet.
Il est fort probable que c'est essentiellement à ce problème social qu'est due la nouvelle modification de la vogue au milieu du XVIe siècle ; les trois ou quatre rames individuelles de chaque banc furent remplacées par une seule grande rame maniée par trois, quatre ou cinq hommes. L'avantage était certain : trois ou quatre fois moins d'avirons diminuait de beaucoup les risques d'accrochage par suite d'une erreur de rythme ; de plus, cette erreur était presque automatiquement corrigée par les deux, trois ou quatre autres hommes attelés à la même rame. En contrepartie, la rame unique, plus longue, plus forte, était beaucoup plus lourde (elle dépassait 60 kg). La cadence des palades (coups de rames) était donc plus lente et le rythme très ralenti. En revanche, ce système, dit a scaloccio par les Italiens (à galoche en français), permettait d'accroître la puissance des galères, au prix d'une légère augmentation de leur largeur, en alignant six, sept et jusqu'à huit hommes par rame, ce qui fut réalisé à partir du milieu du XVIIe siècle.
Au XVIe siècle, les galères avaient une importance capitale en Méditerranée, mais certaines franchirent même l'Atlantique pour aller servir aux Antilles espagnoles. Les galères françaises allaient souvent combattre les Anglais en Manche et en mer du Nord. Ceux-ci tentèrent alors de créer un type de navire mieux protégé mais capable de marcher à l'aviron, les « rowbarges ».
En 1515, Henri VIII fit ainsi construire la Great Galley, à voilure carrée, mais avec cent vingt avirons. Les rowbarges, plus petits que les galères, n'eurent guère de succès et furent supprimés en 1536 ; ayant constaté la supériorité des galères françaises, les Anglais réarmèrent, sous le nom de Galley Blanchard, celle du baron de Saint-Blanchard qu'ils avaient prise en 1546, et en construisirent au moins deux sur ce modèle. Peu adaptées aux conditions atmosphériques difficiles, elles furent abandonnées assez vite.
En Méditerranée, le XVIe siècle fut celui des grandes batailles entre Turcs et chrétiens.
- En 1522, les cent trente galères de Mustafa pacha assiégèrent Rhodes, que les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem durent céder.
- En 1538 se déroula la première grande rencontre navale : la flotte chrétienne (139 galères) d'Andrea Doria était face à la flotte turque (150 galères environ) de Kheir al-Din, surnommé Barbe-rousse, devant le port de Préveza. Mais Doria refusa le combat et se replia.
- En 1560, les chrétiens subirent un désastre devant l'île de Djerba (Tunisie), l'escadre turque de Piyale pacha (86 galères) mit en déroute l'escadre hispano-italienne de Gian Andrea Doria (50 galères, 40 nefs), lui prenant vingt-huit galères et trente-deux nefs.
- En 1565, la puissance turque connaissait son apogée : les cent vingt galères de Piyale pacha et les escadres barbaresques d'Euldj Ali vinrent attaquer Malte où s'était établi l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem. Néanmoins, la résistance héroïque des chevaliers les tint en échec.
- En 1571 fut constituée la Ligue chrétienne, qui réunissait les forces du pape, des Etats italiens, de Malte et de l'Espagne. Sa flotte (207 galères, 6 galéasses, 30 nefs), réunie trop tard, ne parvint pas à sauver Chypre, qui capitula devant les Turcs ; mais, sous les ordres de Don Juan d'Autriche, elle écrasa à Lépante, le 7 octobre 1571, la flotte de ces derniers, coulant cinquante galères et en prenant cent dix-sept sur deux cent huit, ainsi que vingt galiotes sur soixante-six.
Malheureusement, les années suivantes cette énorme flotte ne réussit jamais à s'engager, si bien que Venise se retira et signa une paix séparée avec le Sultan.
Le déclin de la galère
Pourtant, au XVIIe siècle, la domination jusque-là exclusive de la galère en Méditerranée s'effaça devant l'apparition du grand navire de guerre à voiles (nave, galion puis vaisseau) : il était de haut bord, donc inabordable pour la galère, ses murailles étaient trop épaisses, fût-ce pour le coursier, et il portait une artillerie puissante et fournie. L'exemple classique fut celui du vaisseau français le Bon, qui, immobilisé une demi-journée par le calme, en 1684, repoussa toutes les attaques de trente-sept galères hispano-génoises ; mais cette constatation avait déjà été faite dès le début du siècle.Pourquoi, alors, la galère ne disparaissait-elle pas ?
En fait, elle possédait des qualités propres qui en faisaient le complément du vaisseau :
- Elle pouvait porter rapidement des ordres ou un peu de ravitaillement, même s'il fallait naviguer vent debout.
- Elle se déplaçait également par calme plat et pouvait de la sorte remorquer un vaisseau à son poste de combat, ou le retirer de la ligne s'il avait subi des avaries.
- Du fait de son faible tirant d'eau et grâce à la disposition de son artillerie face à la proue, c'était un remarquable engin de débarquement.
La campagne de 1641 sur les côtes de Catalogne fit ressortir ces qualités. Malheureusement, elle furent rarement utilisées par suite de la mauvaise entente (de l'animosité même) qui régnait entre le corps des galères et celui des officiers de vaisseau (aussi bien en Espagne qu'en France d'ailleurs).
La dernière bataille importante qu n'opposa que des galères eut lieu le 1er septembre 1638, devant Gênes, entre les quinze galères françaises de Pont-Courlay et les quinze galères espagnoles de Juan de Orellano, qui dut se réfugier dans le port après avoir perdu six unités, réussissant toutefois à emmener trois françaises. En trois heures de combat, il y avait eu plus de six mille morts, soit près de la moitié des effectifs !
Au XVIIIe siècle, les galères firent essentiellement des croisières de parade. Elles étaient décorées avec un luxe inouï, qui contrastait avec les conditions difficiles de la vie à bord : sur une commandante (réale ou patronne) à sept hommes par banc, il y a trois cent soixante-dix-huit forçats, les officiers, les officiers mariniers, douze compagnons ou gardes, trente mariniers, cent soldats, ce qui représente un effectif considérable sur un bateau long de 52 m et large de moins de 8 m ; tout le monde vit sur le pont, le capitaine seul possédant un lit dans une chambre sous le carrosse, si basse d'ailleurs qu'il ne peut s'y tenir debout. L'odeur (surtout quand on vogue vent debout) est telle que les officiers usent de parfums violents, lançant ainsi une mode qui fera, par la suite, fureur à la cour.
En 1748, le corps des galères disparaît en France et en Espagne, fondu dans la marine des vaisseaux. Les galères ne seront pratiquement plus utilisées que pour de courtes missions de surveillance des côtes, encore que Bonaparte, en 1798, ait emmené en Egypte deux demi-galères (à trois hommes par rame) prises en Italie.
Les galères de la Baltique
Alors que les Scandinaves avaient dans le haut Moyen Age conduit leurs drakkars un peu partout en Europe et jusqu'en Amérique, ils semblent avoir renoncé aux bâtiments de guerre à rames à la fin du XVe siècle.Cependant, dans leurs guerres constantes, Danois, Suédois et Russes se rendaient compte de la nécessité, pour pouvoir parcourir les innombrables chenaux de faible profondeur séparant les îles qui bordent les côtes danoises, suédoises et finlandaises de posséder des bâtiments de faible tirant d'eau, capables d'aller à la rame pour en suivre les méandres.
Assez curieusement, ce furent les galères du type méditerranéen qui furent choisies pour remplir ce rôle. Kurt Adeler, amiral-lieutenant danois qui avait servi pendant quinze ans sur les vaisseaux que Venise avait loués aux Hollandais pour la guerre de Crète, fit construire en 1668 une galère, la Friderich ; elle mesurait 32 m de long sur 4,90 m de large et armait trente-quatre avirons au total.
Elle dut donner satisfaction, car elle fut reproduite par la suite en un certain nombre d'exemplaires, puis, à partir de 1710, développée.
En Russie, ce fut un Grec, Ivan Botzis, qui convainquit le tsar Pierre le Grand et fit construire une flottille de petites galères en mer Noire, vers 1695. Il comprit très vite leur utilité en Baltique et fit construire sur le lac Ladoga une autre flottille qui, dès 1704, participa à la prise de Narva sur les Suédois. Il s'agissait d'unités d'environ 37 m de long sur 5 m de large, avec vingt ou vingt-deux bancs.
Les Suédois se décidèrent à en construire en 1712, pendant la Grande Guerre nordique, mais ne réussirent pas à rattraper leur retard.
L'escadre de galères russes d'Apraxine (95 en 1715) fut victorieuse à Gangut (Finlande), puis, portée à cent vingt unités, dévasta en 1719 et 1720 la côte orientale de la Suède, forçant celle-ci à signer la paix de Nystadt (1721).
Aussitôt après, les Suédois firent venir un maître constructeur de Marseille et envoyèrent des officiers en stage à Gênes et à Venise pour créer la « flotte de l'Archipel ».
En 1748, ils avaient quarante-cinq galères à vingt ou vingt-deux bancs, chaque rame étant maniée par cinq hommes. Bientôt le génie du constructeur Chapman allait leur substituer une série de bâtiments mieux adaptés au climat, canonnières ou corvettes à voilure carrée, munies de rames.
On continua cependant à utiliser les galères existantes, qui étaient en nombre dans la flottille du roi Gustave III quand, le 9 juillet 1790, il écrasa à Svenskund la flottille russe du prince de Nassau-Siegen.
Les Russes ayant cessé d'en construire de leur côté, quelques galères survivantes participèrent pour la dernière fois à des combats dans le conflit de 1808 entre la Russie et la Suède.
Le langage de la marine des galères
Bien que la marine à voile et la marine des galères aient été appelées à coopérer pour servir une même cause, il n'y eut jamais entre elles d'interpénétration. Le corps des galères conservait, en toutes circonstances, sa farouche indépendance, qui se manifestait, en particulier, sur le plan du langage. Aussi, à une époque où les langues maritimes des pays les plus lointains procédaient entre elles à de fructueux échanges, presque tout différait dans les parlers de langue française des deux marines rivales.
Pendant quatre siècles et demi, ces marines coexistèrent, mais leurs divergences de langage, bien loin de s'atténuer, ne cessèrent de s'accentuer.
- Le vocabulaire
- Les expressions
- Antagonismes avec la marine à voiles
- L'héritage du parler des galères
Le vocabulaire des galères
Lorsqu'il s'agit de désigner des matériels ou du personnel qu'on rencontrait à la fois en galère et à bord des vaisseaux, il est possible d'établir des tableaux de correspondance entre les termes des deux langages.
C'est ainsi que, sur les galères :
- Les ancres devenaient des fers.
- Les mâts des arbres (arbre de méjane pour le mât d'artimon, arbre de mestre pour le grand mât, arbre de trinquet pour le mât de misaine).
- Le gouvernail était le timon, la barre, l'orgeau.
Dans le domaine du matelotage :
- Un cordage devenait un gourdin.
- Un raban, un matafion.
- Un orin, un groupi.
- Un câble s'appelait gume.
Contrairement à la plupart des vaisseaux, les galères n'avaient qu'un seul pont, qu'on appelait la couverte.
- L'étrave du navire était la rode de proue.
- L'étambot, la rode de poupe.
- Le bordé était le rombeau.
- Un sabord était un portel.
- La hune était la gabie.
- Le bord (pris dans l'acception : côté) était la bande, tribord étant la bande drette et bâbord la bande senestre.
On rencontrait également des divergences dans les appellations du personnel et des officiers. Tandis que les escadres de vaisseaux avaient pour chefs des amiraux, les galères étaient commandées par un général, assisté d'un lieutenant général. Elles n'arboraient pas le pavillon blanc, mais un étendard de soie rouge semée de fleurs de lis et chargée de l'écusson de France.
Pour les officiers, deux appellations seulement sont communes aux deux langages : enseigne et capitaine. Les autres officiers des galères étaient des lieutenants, sous-lieutenants et gardes de l'étendard.
Chez les bas-officiers (terme spécial aux galères), on trouvait dans les deux marines le pilote et le calfat. Mais les galères se singularisaient avec le comite (maître d'équipage) et le nocher (maître de manœuvre). Les quartiers-maîtres étaient des caps de garde ; les matelots, des mariniers ; les apprentis, des proyers.
Mais les modalités de construction et d'exploitation des galères étaient si différentes de celles des vaisseaux que beaucoup de noms en usage sur les galères ne peuvent être traduits par un seul terme dans notre langage maritime actuel, qui dérive de celui des vaisseaux ; il faut alors avoir recours à une définition pour en comprendre le sens.
C'est ainsi qu'on peut dire que :
- Le gavon était soit la chambre où, la nuit, se retirait le capitaine, soit un local contenant le charbon ou le bois servant à la cuisine.
- L'escandolat était l'office et la lingerie du capitaine.
- Le paillot, la soute à pain et à vivres secs.
Dans le personnel :
- L'argousin était chargé de veiller sur les forçats et, selon les cas, d'ôter ou de remettre leurs chaînes.
- Le rémolat était le « faiseur de rames ».
- Les soldats embarqués étaient des grenadiers (sans grenades) ou des pertuisaniers (sans pertuisane) .
- Les rameurs volontaires (et non enchaînés) étaient, quant à eux, les rameurs de bonne volhe, ou buonevoglies.
Les verbes mériteraient également un examen :
- Amarrer se disait orméger.
- Mâter, arborer.
- Ralinguer, fringuer.
- Larguer, déférir.
- Lofer, orser.
- Laisser porter, pouger.
- Relever l'ancre, serper le fer.
- Mettre en panne, mettre à la trinque.
Les expressions
Les commandements utilisant ces noms et ces verbes ne manquaient pas de pittoresque :
- « Notre homme ! disait le capitaine au comite, avertissez qu'on va mettre à la trinque. »
- Pour mettre en panne, les ordres étaient : « Timonier, orse ! Mole l'escote ! Hisse les carnaux ! Mole devant mestre et trinquet ! »
De tels commandements pouvaient parfois rappeler certaines tirades de Rabelais : « Orche ! Poge ! au trinquet ! aux boulingues ! »
Il existait bien d'autres expressions comme : « être espaze et poigneaux », qui signifiait que les voiles étaient disposées « en ciseaux ».
Antagonismes avec la marine à voile
La marine à voile et la marine des galères ne se firent jamais la moindre concession linguistique.
Quand les galères portèrent un troisième mât sur l'arrière, au lieu de le nommer mât d'artimon, elles adoptèrent, comme pour augmenter encore la confusion entre les deux parlers, l'appellation arbre de méjane ou arbre de misaine, qui, au tout début de la voile, avait été donnée sur les nefs au mât de l'arrière, mais que, par la suite, les vaisseaux avaient réservée, en France, à leur mât de l'avant.
De leur côté, les Ponantais ne montraient aucun empressement à rechercher un terrain d'entente. Par exemple, dans la marine océane du XIIe siècle, le mot tref signifia d'abord « voile de mauvais temps », puis « voile » tout court ; quand la marine des galères en fit le mot trévier, qui désignait le voilier, les marins de haut bord l'abandonnèrent.
Tout différait entre les deux langages. Jusqu'au cri « Ho, hisse ! », qui était remplacé par « Casse ! ». Et jusqu'au nom du petit sifflet des gabiers de l'océan, qui devenait le fisquet du comite et des sous-comes, qui s'en servaient pour rythmer la vogue.
L'héritage du parler des galères
Quand le corps des galères fut dissous à la suite de l'ordonnance royale de 1748, les marins des vaisseaux n'en sauvèrent que bien peu d'épaves.
C'est ainsi que les mots « rame » et « ramer » restèrent prohibés, abandonnés qu'ils furent aux marins d'eau douce.
On peut retenir cependant le nom de « trinquette », qui vient du trinquet des galères, et celui de « batayole », encore employé sur les navires marchands, parfois sous la forme « bataviole ».
Et les embarcations provençales, en particulier les « pointus », ont conservé payol pour désigner leur plancher.
Le bilan de l'héritage des galères serait donc très pauvre dans l'ensemble si elles ne nous avaient laissé les beaux vocables de gabier et de timonier.
Les autres termes ne sont plus connus que de quelques initiés, et il faut désormais un lexique déchiffrant pour comprendre le jeu des galères subtiles qui « se mettaient à la fonde, arboraient à la penne de mestre la bandière de partance, serpentaient le fer, columaient la gume, prenaient la vogue, avaient l'antenne à la bonne main, etc. »
Ce langage eut pourtant ses siècles de gloire, et c'est à l'aide de cet idiome que parvenaient à s'entendre des gens rassemblés aux quatre coins de la Méditerranée, des Français, des Italiens, des Espagnols, des Grecs, des Turcs, des Arabes, des Maures.