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MARINE ANCIENNE

Les VAISSEAUX

>> Article complémentaire : Le vaisseau Batavia
Le Victory
Agrandir Le HMS Victory

Au Moyen Age et jusqu'au XIXe siècle portaient le nom de vaisseaux (du latin vascellum, diminutif de vasculum venant lui-même de vas ; le terme anglais vessel a la même origine) toutes les constructions flottantes pouvant naviguer en haute mer, que ces bâtiments soient grands ou petits, de guerre ou de commerce.
La locution « les vaisseaux du roi » s'appliquait aux navires de toutes tailles, armés ou non, appartenant au roi, c'est-à-dire construits, armés, équipés et entretenus aux frais du Trésor royal.
L'expression « les vaisseaux français » avait le sens, plus général encore, de « navires portant le pavillon de France ».

Au cours de la première moitié du XIXe siècle, le terme prit un sens de plus en plus restreint, et en 1855 le Dictionnaire de la marine à voile de Bonnefoux et Pâris précisait : « Le mot vaisseau est donc aujourd'hui réservé, presque uniquement, pour être pris en son sens particulier, c'est-à-dire pour désigner les constructions flottantes qui ont plus d'une batterie couverte, et qu'on appelle, quelquefois aussi, vaisseaux de guerre ou de ligne et vaisseaux de haut bord ».

Dans cette acception, le terme a désigné, jusqu'au début du XXe siècle, des bâtiments de guerre, dont le dernier, l'Intrépide (troisième des Borda), fut désarmé en 1913.
Si le mot ne s'applique plus aux navires de guerre modernes, il n'en reste pas moins encore utilisé dans le langage courant. Arrivé jusqu'à nous tout chargé d'épopée, cent fois illustré par les peintres, il évoque les puissantes escadres, les grandes batailles navales dans la fumée des canons, l'orgueil des nations souveraines des mers.



Agrandir Le HMS Victory     Agrandir Le HMS Victory
Le H.M.S. Victory

Les premiers vaisseaux.

Vaisseaux anglais du XVIe siècle
Agrandir Vaisseaux anglais du XVIe siècle.
Embarquement d'Henri VIII au
Camp du Drap d'or.
Tableau de Boutewerke.

Les auteurs anciens, ceux des dictionnaires de marine notamment, paraissent s'entendre dans leurs définitions des différentes catégories de vaisseaux existant au début et au cours du XVIIe siècle.

C'est ainsi qu'on appelait vaisseaux de haut bord les navires de guerre à voiles, aptes à naviguer en haute mer, pourvus d'une puissante artillerie et craignant moins l'abordage que les autres navires.
En revanche, l'appellation vaisseau de bas bord englobait une série de bâtiments assez hétéroclites : galéasses, galères, brigantins, frégates, frégatons, felouques, polacres, flûtes, chats, hourques, barques, gribanes, etc.

Le Batavia
Agrandir Le Batavia, construit en 1628

Les vaisseaux de haut bord étaient aussi appelés vaisseaux de ligne, ships of the line chez les Anglais, où le Sovereign of the Seas, construit en 1637, apparaît comme le prototype de ces trois-ponts dotés d'une forte artillerie constituant l'armature des escadres qui, pendant trois siècles, se disputeront la maîtrise des mers pour le compte des nations occidentales rivales. Mais les vaisseaux de haut bord n'étaient pas tous aussi puissants que les trois-ponts, il s'en fallait de beaucoup. On peut en juger, sommairement, par le nombre de leurs pièces d'artillerie, qui pouvait varier de 40 à 100 canons. Ainsi, à la célèbre bataille navale de Beachy Head, le Soleil royal de Tourville portait 98 canons, tandis que l'Alcyon de Jean Bart n'en avait que 44.

Le Sovereign of the Seas
Le Sovereign of the Seas
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Construit sur plans de Phinéas Pett, il fut lancé en 1637.
Long de 51,78 m, large de 14,7m, portant 102 canons en trois entreponts, il avait coûté 66 000 livres sterling.
Il déplaçait 1700 tonnes. En 1652, il fut transformé en deux-ponts, pour améliorer sa stabilité.
Rebaptisé Royal Sovereign, il porta la marque de l'amiral Herbert à la bataille de Béveziers.
Ce navire était de 150 ans en avance sur son temps.

Construction.

Le vaisseau suédois Vasa, qui avait chaviré sous voiles lors de son premier appareillage, le 10 août 1628, fut renfloué par miracle en 1961 après avoir séjourné trois cent trente-trois ans dans la vase du port de Stockholm. Il s'agit là d'un témoin exceptionnel du passé puisqu'il présentait une architecture qui était, à peu de choses près, celle de tous les vaisseaux de l'époque.
Le Vasa était un vaisseau à deux ponts armé de 64 canons, dont 48 pièces de 24, 8 pièces de 3, 2 pièces de 1 et 6 mortiers. Ses caractéristiques, relevées à bord, étaient les suivantes :

  • Longueur totale (beaupré non compris) : 62 m.
  • Largeur au maître bau : 1 1,70 m.
  • Hauteur du château arrière : 20 m.
  • Tirant d'eau : 4,70 m.
  • Déplacement : 1 300 t.
  • Surface de voile (calculée) : environ 1 200 m2.
  • Equipage (documents d'époque) : 437 hommes.
Le Couronne
Le vaisseau français Couronne
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Le premier vaisseau de conception, construction, armement et équipement intégralement français. L'un des plus grands navires apparus jusqu'alors.
Lancé en 1638, il mesurait 40m de long à la quille, pour 15m de large et 1000T.
600 hommes d'équipage et 72 canons répartis en deux ponts.

A cette époque, l'architecture classique des vaisseaux est sensiblement la même dans les différents pays occidentaux.

Ses grandes lignes sont les suivantes :

  • La coque est bâtie sur une quille, joignant l'étambot à l'étrave, à laquelle elle est reliée par une forte pièce de bois dénommée brion.
  • Prennent appui sur la quille de robustes membrures taillées en forme en plein cœur de chêne, les couples, qui constituent une sorte de cage thoracique à l'échelle du navire.
  • Ces couples, composés de plusieurs pièces courbes (allonges) placées bout à bout et dont la pièce centrale, appelée varangue, est encastrée dans la quille, sont eux-mêmes formés de deux plans accolés et chevillés pour former un ensemble rigide.
  • Les deux branches latérales des couples sont reliées par des baux ou des barrots, qui supportent les bordages des ponts.
  • Longitudinalement, les couples sont reliés par une charpente horizontale, composée des lisses et des préceintes doublées d'un bordé.
  • Un fort lambrissage interne, le vaigrage, constitue une sorte de coque intérieure.
  • La rigidité longitudinale est assurée par la carlingue centrale, reposant sur les varangues et solidement chevillée sur la quille.
  • Enfin, l'assemblage est encore renforcé par les serres d'empatture, ou vaigres bretonnes, qui courent, de l'avant à l'arrière, à la hauteur de la partie supérieure des varangues, et par les bauquières, qui supportent les barrots des différents ponts.

La mâture des vaisseaux se composait de trois mâts et d'un long beaupré gréés de voiles carrées, sauf l'artimon, qui portait une voile latine. Le grand mât et le mât de misaine servaient à la propulsion, le beaupré et l'artimon intervenant surtout dans l'orientation du navire.

Le HMS Victory
Agrandir Poupe du Victory

Ces bâtiments avaient une forte tonture, et il faudra attendre le XIXe siècle pour voir s'abaisser l'énorme château d'arrière, qui les rendait beaucoup trop ardents.
En revanche, l'avant était très bas sur l'eau et la poulaine encore plus basse. Si les voiliers pouvaient naviguer debout à la mer, il est certain qu'ils auraient promptement chaviré cul par-dessus tête par forte houle. Il faut cependant reconnaître que cette forme avait sa raison d'être : elle visait à ménager un champ de tir convenable aux canons de l'avant, destinés surtout à combattre les galères, très basses sur l'eau, qui utilisaient la tactique de l'abordage.

Les installations intérieures de la coque des vaisseaux étaient très sommaires ; seules celles du château d'arrière, réservées à l'état-major et au commandant ou à l'amiral, étaient un peu moins rudimentaires.
A l'avant de la batterie basse on trouvait la « fosse aux lions », où étaient lovés les câbles des ancres, puis les soutes à poudre, à projectiles et à biscuits, ainsi que la sainte-barbe. Les cuisines étaient à fond de cale.

La construction ne demandait pas de longs délais, pour autant qu'une saine organisation des arsenaux ait été mise en place et que les règles d'abattage des arbres et de conservation des bois fussent respectées. Le 21 mars 1669, ayant constaté que chaque arsenal ne construisait qu'un vaisseau par an, Colbert prescrivit d'achever un vaisseau « de tout point en trois à quatre mois à compter du jour que la quille est mise en place ».
Dès l'année suivante chaque arsenal lançait quatre navires, et cette cadence se maintint.

Les vaisseaux de haut bord, surtout les plus puissants, destinés aux chefs d'escadre, étaient en général superbement ornés de sculptures et de peintures. Pour le Royal Louis, de 112 canons, construit en 1692, Colbert lui-même fit appel au premier peintre du roi, Charles Le Brun, qui, avec le sculpteur Girardon, réalisa des merveilles à la poupe de ce vaisseau.
Elle est ornée d'une « gloire » en plusieurs étages de galeries décorées de chevaux marins, de sirènes et de tritons qui servent de supports à la scène centrale : assis sur son trône de justice, le roi, ceint de lauriers par la Victoire, reçoit le rameau d'olivier que lui tend la Paix, tandis que Neptune et Thétis lui offrent les richesses de la mer et de la terre.

Le VASA
Le VASA
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Vaisseau suédois de 64 canons. Le Vasa faisait partie du programme naval décidé par le roi Gustave II Adolphe en prévision de l'intervention suédoise dans la guerre de Trente Ans (1618-1648).
Long de 50 m environ, large de 11,50 m, il déplaçait 1300 t et jaugeait près de 1070 tonneaux. Il comportait trois ponts, 48 canons de 24 livres en deux batteries, 133 hommes d'équipage, 300 soldats.

Lancé en 1627, il appareilla le 10 août 1628 pour son voyage inaugural. Il avait à peine parcouru un peu plus d'un mille, profitant d'une brise sèche de sud sud-ouest quand, à l'entrée de la rade de Stockholm, au sud de l'îlot de Beckholmen, une rafale s'abattit sur lui.
Le vaisseau prit de la gîte. L'eau pénétra en trombe par les sabords des canons de la batterie intérieure, qu'on avait laissés ouverts. En quelques minutes, le bâtiment coula. Il s'était posé droit sur le fond, si bien que des essais furent immédiatement tentés pour le renflouer. Mais ce fut peine perdue.
En 1957 seulement, grâce à l'acharnement d'un érudit suédois passionné de marine, Andres Franzén, il devint possible de reprendre ces tentatives. Le 24 avril 1961, plus de 300 ans après la catastrophe, la coque était ramenée à la surface. Le temps l'avait miraculeusement épargnée. Après un traitement spécial destiné à éviter la désagrégation du bois au contact de l'air, le grand vaisseau fut installé sur un ponton couvert prés du musée Vasa de Stockholm et protégé par une enveloppe de ciment et de verre.

L'artillerie des vaisseaux.

Au début du XVIIe siècle, les canons étaient en bronze moulé (on disait alors « canons de fonte ») ; les frères Keller, fondeurs du roi entre 1666 et 1694, employaient un alliage ainsi composé : « 10 000 de rosette (cuivre pur), 900 d'étain et 600 de letton ».
Mais les canons en fer allaient bientôt les supplanter ; après 1692, on n'utilise pratiquement plus que ces derniers, de fabrication plus économique.

Le Redoutable
Le vaisseau Redoutable
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Vaisseau français à trois ponts et 74 canons.
C'est de sa hune que partit le coup qui frappa à mort Horatio Nelson.
Commandé par le capitaine Lucas, il coula le même jour.

Les pièces d'artillerie des navires étaient désignées par le poids (en livres) des boulets qu'elles tiraient, le poids du canon lui-même étant en principe égal à deux cent cinquante fois celui de son projectile.
C'est ainsi qu'à des boulets de 8, 12, 18, 24, 36 (livres) correspondaient respectivement des canons de 1860, 1980, 4050, 5040, 5940 livres.
La longueur des pièces variait entre 6 pieds et 10 pieds et demi.

Canon
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Pour le service du canon, notamment pour le remettre en batterie après un coup tiré, on se servait des bragues et des palans latéraux et arrière. Ces palans étaient à une poulie double en règle générale, à une poulie simple jusqu'au 8 et à deux poulies simples pour le 6 et le 4 ; il fallait des muscles solides... Le pointage en direction, bien sommaire, s'effectuait à l'aide de deux anspects de bois et le pointage en hauteur par l'intermédiaire d'une pince de fer, de coins et de coussins.

L'angle de tir « de but en blanc » était de 2 degrés environ. Le boulet de 36 ou de 24 recoupait la ligne de tir entre 700 et 900 m, distance de tir normale et considérée comme maximale.

En mai 1669, les vaisseaux du roi (au nombre de 75) étaient répartis en cinq classes :

  • Première classe : plus de 1 600 tonneaux et plus de 110 canons (5).
  • Deuxième classe : de 1 200 à 1 500 tonneaux et plus de 75 canons (4).
  • Troisième classe : de 900 à 1100 tonneaux et plus de 56 canons (28).
  • Quatrième classe : de 600 à 800 tonneaux et plus de 44 canons (18).
  • Cinquième classe : de 300 à 500 tonneaux et plus de 24 canons (20).
L'année suivante apparut la notion de rang, et d'après le règlement du 4 juillet 1670 les vaisseaux (119 au total) étaient ainsi répartis :
  • Premier rang : trois ponts entiers et non coupés, 70 à 120 canons (16).
  • Deuxième rang : trois ponts entiers (ou le troisième coupé), 56 à 66 canons (16).
  • Troisième rang : deux ponts entiers, 40 à 50 canons (33).
  • Quatrième rang : deux ponts entiers, 30 à 40 canons (25).
  • Cinquième rang : deux ponts entiers, 18 à 28 canons (29).

Sur un vaisseau de ligne, les canons étaient répartis entre les trois batteries, les pièces les plus lourdes étant évidemment installées dans la batterie basse. Chacune d'entre elles était montée sur un affût, dont la partie principale était la sole, pièce longue et large qu'il était parfois difficile de se procurer car elle était en bois d'orme.
Un affût de 36 mesurait 6 pieds de long et pesait 947 livres.

La bordée (poids des boulets supposés tirés simultanément par toutes les pièces d'un même bord) d'un vaisseau de ligne tel que le Soleil royal, avec 14 canons de 36 et 15 de 18, était de 774 livres (36 x 14 + 18 x 15 = 774).

Le VICTORY
Le vaisseau Victory
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Vaisseau de premier rang, orgueil de la marine britannique, bâtiment amiral de Nelson à Trafalgar, il fut lancé à Chatham le 7 mai 1765. 120 canons. Coque en chêne, à double revêtement. Longueur de la quille : 45 mètres.
Le Victory se trouve aujourd'hui dans un bassin à sec à l'intérieur du port de Portsmouth. Restauré dans l'état où il se trouvait au temps de Trafalgar (21 octobre 1805), il sert de musée naval. C'est sur sa dunette que tomba, mortellement blessé d'une balle de fusil, l'amiral sir Horatio Nelson, commandant de la flotte anglaise.

Les hommes.

Créé en 1669 par Colbert, le système des classes pour les gens de mer revenait pratiquement à exiger des populations littorales une année de service tous les quatre ans.
Ce mode de recrutement, quoique sévère, était moins expéditif que le précédent, « la presse », enrôlement forcé, totalement arbitraire, et qui devait rester longtemps en vigueur dans la Marine britannique.

L'espace était restreint à bord de ces navires de quelque 50 à 60 m de long, sur lesquels s'entassaient jusqu'à 1 000 hommes, parfois davantage.
Le Soleil royal, de 2 000 tonneaux, lancé à Brest en 1669, réunissait à son bord 440 marins et 200 soldats, encadrés par 160 maîtres et quartiers-maîtres et commandés par 9 officiers.

Le maniement des canons exigeait à lui seul le concours de nombreux marins. D'après Lempereur (1671), l'armement des batteries était ainsi défini :

  • A la première batterie (ou batterie basse) se trouvaient le maître-canonnier, 6 hommes par pièce et 1 canonnier pour 2 canons.
  • A la deuxième batterie : 1 bon canonnier et 5 hommes par pièce.
  • A la troisième batterie : 1 bon canonnier et 4 hommes par pièce.

Ainsi ne trouvait-on pas moins de 122 hommes dans la batterie basse ; il est vrai que celle-ci tirait une bordée de près de 400 kg à environ 1 kilomètre...

Les canonniers, qui appartenaient au corps de l'artillerie, commandés par un officier d'artillerie placé directement sous les ordres du commandant du vaisseau, servaient à bord par moitié avec les matelots des classes. La marche du navire, en effet, exigeait, elle aussi, la participation d'un grand nombre d'hommes.

Le Vasa
Agrandir Le VASA

Restait à assurer la vie quotidienne de cet équipage et l'entretien du navire, d'où encore la présence sur ces bateaux de nombreux ouvriers. Dans la Vareuse blanche, récit vécu de l'année de service qu'il avait accomplie à bord d'une grande frégate des Etats-Unis, en 1843, Herman Melville raconte : « Il arrive bien souvent que l'on puisse voir, exactement en même temps, s'exercer tous les corps de métier sur le pont de la batterie : tonneliers, charpentiers, tailleurs, étameurs, forgerons, cordiers, prédicateurs, joueurs professionnels et diseurs de bonne aventure. ».
Et le titre d'un de ses chapitres n'est-il pas : « Un navire de guerre plein comme un œuf ! »

Malgré les risques de contagion, l'hygiène à bord était bien négligée. Le défaut de ventilation des cales, l'habitude de ne donner qu'un hamac pour deux hommes, l'usage de futailles en bois pour conserver l'eau contribuaient à rendre le navire malsain et à répandre le typhus et le scorbut.
En 1740, le marquis d'Antin, parti de Brest avec une escadre considérable, se vit bientôt contraint de revenir au port avec ses équipages décimés.

Cet état de choses ne devait guère s'améliorer avant la fin du XVIIIe et même le début du XIXe siècle.
Melville écrit encore au sujet de l'hôpital du bord, ou « poste des malades » : « Comme il arrive sur la plupart des navires de guerre, l'infirmerie du Neversink se trouvait située sur le même pont que le poste de couchage, le troisième en descendant du pont supérieur. Elle était placée tout à fait à l'avant de ce pont, enserrée dans l'espace triangulaire formé par les bossoirs. Par conséquent, vous devinez qu'il s'agissait d'une cave, d'un souterrain où jamais ne pénétrait, même en plein midi, le moindre rayon de soleil... ».

Quant à la discipline à bord de ces grands voiliers, elle était rigoureuse et les châtiments parfois cruels. Melville s'en indigne : « Et au nom de l'humanité immortelle, Dieu veuille que chaque partisan du fouet soit flagellé sur le passavant jusqu'à ce qu'il abjure son erreur. ». Ceci fut écrit, au pays de la liberté, voici seulement cent trente ans.

Les progrès en deux siècles.

Un Anglais a écrit qu'un marin du Sovereign of the Seas n'aurait pas été dépaysé à bord du Victory de Nelson ; c'est dire qu'en un siècle et demi peu de progrès avaient été accomplis. Et l'on vient de voir ce qu'il en était sous l'angle de la « qualité de la vie » au milieu du XVIIIe siècle !

Toutefois, si les bâtiments ne changent guère, leur artillerie s'améliore et le poids de la bordée ne cesse d'augmenter.

A la fin du XVIIIe siècle, les excellents vaisseaux construits sur les plans de l'ingénieur Sané avaient des formes rentrantes, qui présentaient l'inconvénient de diminuer la largeur des ponts supérieurs et des batteries correspondantes et de réduire la place disponible pour la manœuvre des voiles et des canons.
Ces formes obligeaient en outre à exagérer la saillie des porte-haubans à l'extérieur, au risque de les voir démolis en cas d'abordage. Un ancien combattant de Trafalgar, le lieutenant de vaisseau Gicquel des Touches, eut à ce sujet une polémique mémorable avec l'ingénieur Tupinier, futur ministre de la Marine, et qui devait par la suite demander la suppression du vaisseau de 74, qui se révélait totalement impuissant contre les grandes frégates (du genre de celles que faisait construire la jeune Marine américaine) lorsque l'état de la mer lui interdisait l'usage de sa batterie basse.

Finalement, on construisit les frégates de 60 canons du type Didon (1828) et les vaisseaux à murailles droites Suffren (90 canons) et Valmy (120 canons) ; celui-ci, lancé à Brest en 1847, devait être le dernier trois-ponts de la Marine française.

Les vaisseaux rasés (des deux-ponts dont on avait rasé la batterie supérieure afin de réduire le poids dans les hauts pour améliorer des qualités nautiques initiales médiocres) doivent être mis tout à fait à part, car ils n'avaient qu'une batterie couverte.

Description d'un vaisseau royal
Description d'un vaisseau royal

Gravure extraite de l'Hydrographie du père Fournier (1667), décrivant un vaisseau français du XVIIe siècle.

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Les vaisseaux au combat.

Au XVIIe siècle, la ligne de bataille se composait théoriquement de 73 unités de types variés, dont plus de la moitié portait au moins 66 canons et le reste au moins 50 (en fait, les plus faibles n'en avaient parfois que 40).

Escadre
Agrandir Escadre de l'amiral Willaumez (1809)
Aquarelle de François Roux

Les trois escadres étaient formées de la même façon: au centre l'amiral, appuyé de deux forts vaisseaux ; à l'avant et à l'arrière deux groupes composés d'un fort vaisseau, dont les matelots d'avant et d'arrière étaient également puissants.
Les plus petits bâtiments se répartissaient en ordre régulier, de façon à ne pas laisser d'intervalles sans défense.
Et l'on assistait à un carrousel bien réglé comme à la bataille de Beachy Head (10 juillet 1690). Charles de La Roncière a écrit : « A la petite pointe du jour, Tourville, depuis plusieurs jours en vue des escadres anglo-hollandaises, se dispose à engager la bataille par le travers des blanches falaises du cap Beachy Head, ou de Pevensey, le Bévéziers de nos cartes. Nos 70 vaisseaux forment une ligne aussi droite que si elle était tirée au cordeau, chacune de nos 9 divisions a un vaisseau répétiteur pour transmettre les signaux... ».
Le même ordre règne en face : « Les ennemis vinrent en bon ordre attaquer notre ligne » écrivait le lendemain Château-Renault.

Plus tard, et avant Nelson, Suffren (1726-1788), au rebours des chefs d'escadre de son temps (bons élèves soucieux avant tout de se conformer aux règles de la tactique livresque) cherchait à obtenir des résultats décisifs en écrasant l'ennemi par des concentrations de feux.
Celles-ci étaient rendues possibles grâce aux manœuvres que permettait l'articulation très souple de ses forces.
Ses capitaines furent malheureusement incapables de saisir l'énorme intérêt offert par cette révolution dans l'art de la guerre sur mer.

Vaisseau suédois de premier rang
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En Angleterre, lorsque le grand administrateur de la Marine, l'amiral George Anson, eut pris ses fonctions, vers le milieu du XVIIIe siècle, une définition nouvelle des escadres entra en application.
Avant lui, la « ligne de bataille » se composait de navires de différents tonnages avec une artillerie comptant de 50 à 100 canons. Cette disparité était extrêmement dangereuse.
Il est notoire que la robustesse d'une chaîne dépend de son maillon le plus faible, et cet axiome est particulièrement vrai pour une escadre en ligne.
L'amiral Anson répartit donc tous les navires de guerre en deux grands groupes, le premier apte à tenir la ligne (fit to stand the line), le second inapte (unfit to do so).
Les premiers furent nommés « navires de bataille », les seconds « croiseurs ». Il divisa ensuite chaque groupe de battleships en trois catégories :

  • Premier rang : trois-ponts de plus de 100 canons.
  • Deuxième rang : trois-ponts de plus de 90 canons.
  • Troisième rang : trois-ponts de plus de 64 canons.

Puis le vaisseau de 74 devint le standard private ship, tandis que les flagships, plus puissants, recevaient à leur bord les amiraux.

Une bataille d'escadres

Pendant la guerre de la Succession d'Espagne, une flotte franco-espagnole, sous le commandement du comte de Toulouse (vingt-six ans, fils naturel de Louis XIV et de Mme de Montespan), et une flotte anglo-hollandaise, commandée par l'amiral Rooke, se trouvèrent aux prises le 24 août 1704 le long des côtes d'Espagne, près de Vélez Malaga, à quelque 60 milles de Gibraltar.

Notre ligne de bataille se composait de 50 vaisseaux portant 3 522 canons et 24275 hommes. L'ennemi alignait 53 vaisseaux, 3614 canons et 22 453 hommes. Ces chiffres ne font pas état des frégates, des brûlots et (du côté franco-espagnol) des galères, lesquelles ne purent prendre part aux engagements, la mer étant trop grosse.

Après toute une journée de combats acharnés, les Anglo-Hollandais comptaient 2688 morts ; du côté franco-espagnol, on ne déplorait la disparition que de 1 585 matelots, mais 185 officiers (dont plusieurs capitaines de vaisseau) avaient péri.
Ces pertes ayant quelque peu désorganisé le commandement, mais surtout atteint le moral des amiraux, le lendemain les vaisseaux de Louis XIV se replièrent au lieu de poursuivre leur avantage. On s'empressa néanmoins de faire célébrer un Te Deum à Paris.

Pendant ce temps, l'amiral Rooke regagnait Gibraltar, y réparait ses navires (d'ailleurs à bout de leurs munitions...) et reprenait la mer vers l'Angleterre, laissant derrière lui la garnison de Gibraltar renforcée de 2000 hommes et 48 canons. Son pays allait désormais être maître du Rocher pour des siècles.

Un raid à La Praya

Raid à La Praya
Agrandir Le combat de La Praya
Tableau du marquis de Rossel

En 1781, le bailli de Suffren recevait le commandement d'une division chargée de transporter des troupes au cap de Bonne-Espérance et composée de : 1 frégate, 1 corvette et 5 vaisseaux (2 de 74, le Héros, avec Suffren, et l'Annibal) et 3 de 64 canons.

Aux îles du Cap-Vert, le vaisseau de 64 l'Artésien, contraint de faire aiguade, partit en reconnaissance et aperçut une flotte anglaise ; il dénombra 4 vaisseaux, 4 frégates, 10 vaisseaux (armés) de la Compagnie des Indes, ainsi que 16 transports.

Suffren pouvait continuer sa route et peut-être atteindre Le Cap avant les Anglais, mais il jugea préférable d'attaquer, bien qu'il ne pût compter que sur l'Annibal pour le suivre. Ce fut un raid violent et les Anglais subirent des avaries telles que Suffren leur échappa et parvint avant eux au Cap, où il put débarquer les troupes destinées à la défense de la colonie. Quinze jours plus tard, les Anglais étaient en vue, mais il leur fallut renoncer à débarquer ; l'audace de Suffren avait été payante.

Un duel

Le 20 octobre 1778, le vaisseau de 64 le Triton (commandant de Ligondis), croisant à la hauteur du cap Finisterre, était pris en chasse par le vaisseau anglais Jupiter (50 canons) et la frégate Medea (28 canons), qui firent route vers lui vent arrière.

Le Triton les attendit au plus près, bâbord amures. A 17 h 15, le Jupiter arrivait dessus par le travers bâbord et engageait le combat, tandis que le Medea attaquait le français sur sa hanche tribord.
Menacé des deux bords, le commandant de Ligondis arriva en grand, plaçant ainsi ses deux adversaires du même bord. Après une heure et demie de canonnade, de Ligondis, mortellement blessé, passa le commandement au lieutenant de vaisseau de Roquart et le combat continua.

A 20 h 15, le Medea, n'en pouvant plus, s'éloigna, mais le Jupiter poursuivit la lutte pendant encore une heure avant de tenter de rompre l'engagement. Le Triton le prit en chasse jusqu'à ce qu'un grain violent vînt séparer les deux adversaires. Son gréement et ses voiles hachés, le français s'en fut alors relâcher à La Corogne pour enterrer ses morts et soigner ses blessés.

Les derniers vaisseaux.

Le 15 mai 1850, on lançait à Toulon le premier vaisseau à vapeur : le Napoléon, de 90 canons.
En 1855, ce fut la mise à l'eau de la Bretagne, trois-ponts de 6873 t et 130 canons, tandis qu'en Angleterre le Marlborough était doté de la vapeur alors qu'il était en cours d'achèvement.

Dès lors, les progrès sont rapides : en 1859, la cuirasse fait son apparition à bord de la frégate la Gloire (son artillerie est disposée en deux rangées, dont une seule est couverte).
Les caractéristiques du Napoléon et de la Gloire méritent qu'on s'y attarde afin de les comparer :

  Napoléon Gloire
Longueur à la flottaison 71,23 m 78 m
Largeur au fort 16,16 m 17 m
Tirant d'eau moyen 7,72 m 7,75 m
Déplacement en charge 5 047 tx 5620 tx
Puissance nominale 900 ch 900 ch
Vitesse (nœuds) 13,86 13,5
Artillerie 90 canons 36 canons de 36

  On constate que les principales caractéristiques des deux navires sont très voisines, mais la Gloire est cuirassée, son artillerie est homogène et de gros calibre.

A la même époque, l'apparition en Angleterre du Warrior, qui va être l'ancêtre des cuirassés, consacre la fin des vaisseaux.

Les derniers survivants furent transformés en navires-écoles :

  • Le Louis XIV, vaisseau-école de canonnage.
  • Le Jean Bart, vaisseau-école d'application des aspirants.
  • L'Intrépide, devenu le Borda, école navale mouillée en rade de Brest jusqu'en 1913.
Le vaisseau Valmy
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Le Valmy
Dernier et plus grand vaisseau de la marine française, il fut lancé en 1847. Les trois mâts atteignaient une hauteur de 60m et il était armé de 120 canons.
Il fut pendant des années utilisé comme navire-école.

De ces merveilleux vaisseaux de bois et de toile, il ne nous reste pratiquement que des tableaux et des modèles réduits. Rien ne peut donc restituer le spectacle grandiose d'une escadre de vaisseaux sous voiles, et les deux seuls témoins du passé, le Vasa à Stockholm et le Victory à Portsmouth, ne navigueront, hélas !, jamais plus.


Bibliographie

  • La Marine française, 1893 - M. Loir.
  • La vareuse blanche, 1843 - H. Melville.
  • Histoire de la Marine française - Ch. de La Roncière.
  • Histoire de la Marine française - Cdt Rondeleux.
  • Navy of Britain, A Historical Portrait, 1948 - M. Lewis.
  • Glossaire nautique, 1848 - A. Jal.
  • L'Art dans la Marine - H. Jurgen Hansen.
  • Mémorial de l'artillerie française - L. Denoix , J.N. Muracciole.

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